1001 Miglia : 1637 km non stop à travers l'Italie

Avant de quitter Nerviano (Milan) pour ces 1000 miles en vélo en Italie, nous savions que nous allions vers l'inconnu, n'ayant ni l'un et l'autre jamais parcouru plus de 850 km d'une traite. Les récits de cyclistes sur les épreuves longue distance, notre expérience personnelle et notre préparation physique et logistique nous ont permis d'aborder au mieux cette épreuve qui mérite ses prétentions de "piu longa Randonnée ciclista d'Europa" et de "most chalenging and enjoyable randonnée in the world".

Un vrai challenge
De ces qualificatifs, il faut retenir en particulier celui de "most chalenging" : c'est en effet l'esprit de Fermo Rigamonti, l'organisateur. Sans vice, mais avec une constante recherche de la difficulté, il a proposé un parcours composé de passages inattendus sur de telles distances : outre les cols et les 18000 mètres de dénivelée annoncés au programme, nous avons dû passer un gué, chercher des contrôles perchés dans les montagnes, escalader une côte bétonnée de 2 km à plus de 18 %, traverser un pont pavé de 2 km, puis un autre pont-barge en bois, sans parler d'interminables détours pour nous faire passer par les points de vue plutôt que les vallées. Quant à la navigation, nous avons constaté une prédisposition à omettre de temps en temps un fléchage essentiel, juste pour s'assurer que nous lisons bien le road book... On n'emprunte jamais les voies directes pour se rendre d'un contrôle à un autre : on lézarde, on zigzague, jusqu'à en perdre le sens de l'orientation. Il n'est donc pas question de se mettre en pilotage automatique, il faut rester vigilant à tout instant car le parcours est très compliqué, privilégiant les itinéraires peu fréquentés et les points de vue touristiques. Nous n'aurons, somme toute, qu'une quinzaine de kilomètres "d'erreur" sur le parcours, ce qui est finalement très peu.

Ce 1001 Miglia, c'est aussi un magnifique parcours touristique qui traverse des paysages fabuleux , notamment ceux de Toscane et de Ligurie qui nous ont fait promettre de revenir un jour ... dans d'autres conditions.
Le village de Monticino en Toscane - source office de tourisme

Si le 1001 Miglia est annoncé comme une randonnée cycliste, c'est d'abord une course contre la montre et contre la dégradation physique. Course contre la montre car les horaires de fermeture des contrôles (18 en tout) rythment la progression, et nous nous trouvons au pire avec une marge de seulement 4 heures. Ainsi les 400 premiers kilomètres de plat doivent être parcourus à 30 km/h de moyenne si l'on veut être "à l'heure" aux contrôles suivants sans quoi il faut être très fort pour remonter, au risque de s'entamer irrémédiablement.
C'est aussi une course contre le délitement du corps : ce sont d'abord les points d'appuis sur le vélo qui font souffrir, mais aussi d'autres "bobos" qui apparaissent et qui prennent des proportions sans rapport avec leur réelle importance. Plus la randonnée est longue, plus les difficultés grandissent. C'est donc paradoxalement plus difficile pour les moins rapides qui passeront 6 nuits sur leur vélo en dormant très peu alors que les meilleurs auront bouclé le parcours en seulement 3 jours et 3 nuits, souvent accompagnés de camping car où ils peuvent se reposer dans de bonnes conditions.

 Mark, serein dans l'attente du départ

Un départ d'épreuve en soirée est difficile à gérer sur le plan du sommeil : on a beau se promettre de faire grasse matinée les jours qui précèdent, le changement de rythme de sommeil est compliqué à mettre en place. Nous quittons la maison le plus tard possible la veille, traînons en route,  nous arrêtons à Embrun où les triathlètes se battent sur l'Embrunman en ce 15 août, nous reposons dans un hôtel après la frontière et arrivons le lundi 16 à Nerviano en milieu de journée. Formalités, équipement des vélos, dernier repas, échanges avec les uns et les autres que nous connaissons déjà de l'édition précédente ou dont nous faisons la connaissance ici. La tension monte autour de nous mais nous sommes très calmes et sereins, heureux de partir enfin, cela fait des mois qu'on attend ça !


Bonne ambiance à Nerviano !

Notre course :
Nuit 1 - lundi/mardi
Nous partons de Nerviano, lundi à 21h par groupe de 30, espacés de 5 mn. Nous franchissons la ligne de départ à 21h20. Après 100 km, des groupes de niveau sont naturellement formés. Il faut gérer les arrêts pipi et profiter de toutes les opportunités : en effet chaque arrêt demande de remonter à fond comme en interval training. Nous progressons silencieusement sur des routes très plates, souvent très fréquentées, par ici, les changement de direction sont  nombreux. 1er contrôle à Fombio puis 2ème à Colorno, très rapides. Heureusement, pendant les 4 étapes du début, si l'on est placé dans les bons groupes de tête, il n'est pas utile de consulter son road book : le fléchage est précis et beaucoup connaissent la route ou ont un GPS. C'est la plaine du Pô, tellement humide qu'elle est consacrée à la culture du riz. Odeurs saumâtres. Nous voyons beaucoup de prostituées  au bord des grandes routes, elles ont à leurs pieds des feux dans des bidons d'huile, qui les réchauffent et les éclairent comme des statues.

Jour 1 - mardi 17 août
Le jour se lève au 3ème contrôle à Massa Finalese à 6h25 au km 271, nous quittons notre groupe et prenons notre premier repas sous la tente plantée au milieu du village. Nous continuons seuls jusqu'au 4ème contrôle à Faenza  à 11h43 km et 391km. La moyenne sur le vélo est de 29 km/h sans compter les arrêts. Jusque là, c'est complètement plat.
Avec l'étape 5, nous quittons la plaine et nous accordons  10 mn de pause sommeil dans l'herbe. Nous abordons alors une grimpée irrégulière de 70 km avec vent de face jusqu'au col de Valico Trefagi à 1030 m. Après ce col, c'est le 5ème contrôle à Dicomano à 17h41 et 486 km. Nous en repartons avec l'intention de dormir à mi-parcours de l'étape 6 qui fait 74 km et 2000 m de dénivelée et comprend 2 cols.
 Notre premier col

Nuit 2 - mardi/mercredi
Après le 1er col de ces 2 cols (971 m), nous comptons trouver un hôtel à Stia. Malheureusement l'unique hôtel de cette ville touristique a été réservé par des cyclistes de notre groupe, des Danois, depuis plusieurs mois. Impossible de trouver une chambre dans cette ville. Nous ne perdons pas plus de temps et repartons vers le contrôle n°6 au sanctuaire de Chiusi della Verna, en haut d'une montée qui semble interminable à 1000 m d'altitude. Dans la montée dans le noir, nous voyons le sanctuaire éclairé sur sa falaise qui nous nargue et traversons un village où se déroule une projection de cinéma en plein air. La voix des acteurs nous parvient un peu plus lointaine à chaque épingle... Nous pourrions suivre le déroulement du film. Nous montons régulièrement et dépassons le dernier village pour arriver finalement au sanctuaire perché sur le roc à 1h00 mercredi matin. Cette première étape aura duré 28 heures pour 560 km et 10 mn de sommeil. Il est temps de nous trouver un lit dans le dortoir du sanctuaire, au milieu des ronfleurs, pour 4 heures de sommeil.

Un coup d'oeil sur notre nid d'aigle en partant...
Jour 2 - mercredi 18 août
Nous redescendons au village dans le petit matin et prenons le temps d'un petit déjeuner copieux acheté à l'épicerie. Départ pour l'étape 7 pour Passignano au km 666 où nous arrivons à 13h20. Nous roulons seuls, beaucoup de petites et grandes montées. Arrivée à Passignano où, grand bonheur, nous récupérons notre bag drop et nos affaires personnelles.

 En quittant Passignano

Encore un bel endroit où l'on aurait envie de passer quelques vacances, au bord de ce joli lac ! Pause d'1h40 pour changer de vêtements, prendre une douche (froide) et manger. Nous repartons sans tarder  pour l'étape 8, courte et pas très difficile, où nous arrivons à 17h47 au contrôle de Todi. Départ pour l'étape 9 de 1000 m de dénivelée et 54 km : nous longeons dans la soirée un  très joli lac, qui nous fait penser à notre Serre Ponçon, et arrivons au contrôle de Bolsena avec 788 km à 21h42. Bon repas au restaurant : enfin une bière, des légumes et de la viande...
 Le lac suivant, Bolsena

Nuit 3- mercredi/jeudi
Malheureusement, le lieu prévu pour dormir est une tente tipi avec des morceaux de cartons posés sur l'herbe, nous sommes entourés de ronfleurs qui nous empêchent de dormir. Nous nous couchons avant minuit et mettons le réveil à 4h, mais nous partons avant, avec très peu de sommeil. Le petit matin est frais et humide.
 Magique Pitigliano
Jour 3 - Jeudi 19 août
Dans l'étape 10, nous sommes dans la partie la plus au sud du parcours. Nous traversons le fantastique village de Pitigliano, terme de notre 1001 Miglia en 2008 et nous devons franchir une côte de 2 km à des pourcentages annoncés à 15 % mais qui sont supérieurs, tellement raide que la route est en béton avec des stries pour donner de l'adhérence aux véhicules... Pour ceux qui connaissent le Raid Provence Extrême, c'est comme la côte Sainte-Anne, mais avec un revêtement impossible... On arrive au contrôle de Pomonte à 7h55 au kilomètre 859 avec seulement 4 heures d'avance sur la fermeture du contrôle. Ca y est, on a fait la moitié ! Départ sans tarder pour l'étape 11 vers Montalcino qui comprend 77 km et 1700 m de dénivelée. Ca n'arrête pas de monter et descendre, et nous passons ici un gué qui heureusement n'a pas beaucoup d'eau. Juste après, un contrôle secret est installé sur le bord de la route, les bénévoles sont sympas et nous passons un bon moment. Il est 13h45 quand nous arrivons au contrôle 11 à 936 km au total.
 Paysages de rêve en Toscane

Nous repartons aussitôt, toujours des collines dans l'étape 12, 900 m de dénivelée pour 54 km. Au contrôle de Castelnuovo à 990km, le ravitaillement est remarquable, meilleur que les autres car il est offert par une société sportive. Nous récupérons notre 2ème bag drop, les sanitaires sont luxueux, nous repartons vers 18h30 sans avoir dormi mais tout propres ! Le paysage est somptueux, la Toscane nous donne vraiment des regrets de la traverser si mal et si vite.

Nuit 4 - jeudi/vendredi
Juste avant le coucher du soleil, en passant devant une auberge rustique au bord de la route,  nous avons tous les deux la même idée ... en dix minutes, les vélos sont dans le garage, nous sommes au lit avec un grand verre de bière ! Environ 6 heures de sommeil.
Les vignobles du Chianti

Jour 4 - vendredi 20 août
A 3 heures, le réveil sonne et nous partons aussitôt. Nous traversons alors la région du Chianti, ça monte et ça descend sans répit. Alors que nous arrivons dans un petit village, un groupe de cyclistes est à l'arrêt. Ils nous indiquent la route et nous dévalons une pente de plusieurs kilomètres jusqu'à nous rendre compte de notre erreur : ce n'est pas la bonne route ... Pas de panique :  nous avons sur nous nos cartes routières au 200 000ème, découpées en bandes qui font tout l'itinéraire. Plutôt que de remonter, nous traversons une grande ville, après quelques hésitations, nous retrouvons notre chemin avec seulement 4 km de trop. Arrivée au contrôle 13 à Montaione à 7h32. L'étape 14 est en descente, facile ! Nous avons un peu de mal à trouver le contrôle, nous sommes au kilomètre 1138 à 10h50. Même scénario : ravitaillement rapide (des pâtes froides, toujours la même chose !) et on repart pour une montée de 100 km dans la chaleur sur une route à grande circulation pendant 60 km. Mauvais moment. On ne se dit pas grand chose. Il  faut juste avancer. La montée du col est beaucoup plus agréable, ombragée mais Mark passe sur un mauvais trou, il crève instantanément heureusement sans endommager le pneu arrière. Ce sera notre seule crevaison. Arrivée au contrôle d'Aulla au kilomètre1258, il est 18h10. Ce contrôle est dans une station essence bruyante, il n'y a rien à manger. Nous partons pour le centre ville, galère pour trouver à manger : devant le fast food il y a une bagarre entre deux bandes, ça dure assez longtemps, nous devons protéger nos vélos avant de pouvoir enfin s'échapper pour aller manger dans un jardin public. Vraiment pas le top cet arrêt !

Nuit 5 - vendredi / samedi
Le jour tombe quand nous repartons pour une longue nuit pénible. L'étape 16 comprend 1913m de dénivelée pour 74 km, on traverse les Cinque Terre, villages perchés bien connus des touristes. La route est épuisante.
 Nous n'avons rien vu des Cinque Terre dans le noir, voici à quoi ça ressemble ! source : office de tourisme

Vers 23h, épuisés, nous nous jettons sur un espace boisé où le sol  est meuble et souple car recouvert de sciure de bois. Nous y plaçons nos couvertures de survie et nous couchons tout habillés.  Mais aussitôt assaillis par une nuée de moustiques,  il est impossible de se reposer. Nous repartons à 1h10. Nous sommes sales, puants et fatigués.  En continuant vers le contrôle suivant, nous sommes rejoints par deux autres cyclistes dont l'un est en pignon fixe ! C'est impressionnant à voir sur ce type de dénivelée : soit il est à 30 t/minutes, soit 200 t/minutes dans les descentes ! Avant d'arriver au contrôle de  Deiva, on aperçoit la mer et la lune presque pleine qui s'y reflète. Instant magique. A Deiva, station balnéaire dont nous ne connaîtrons jamais le charme, nous arrivons vers 3h15. Après avoir mangé, on se couche dans un couloir, tous les deux sur le même petit tapis, au milieu des ronfleurs. Sommeil impossible.

Deiva, ça à l'air pas mal du tout. Nous on n'a rien vu ! source  : office du tourisme

Jour 6 - samedi 21 août
A 6 heures, nous sommes à nouveau sur nos vélos pour l'étape 17 qui fait 1460 m de dénivelée pour 92 km. Notre route surplombe la mer et offre de magnifiques points de vue. Il n'y toujours pas de plat. C'est une journée extrêmement chaude, déjà 34 °. Deux cols au programme avec plusieurs tunnels. C'est étouffant. Au contrôle de Casella, au kilomètre 1424 il est 12h36. On réussit à trouver une pièce avec un lit de camp et un lit de massage à un mètre du sol. On s'y enferme, Mark sur le lit de massage. On dort une heure. Le manque de sommeil est omniprésent, notre besoin d'isolement très fort et la chaleur terrible. Départ à 14 heures, route à grande circulation pendant 40 kilomètres jusqu'au moment où on bifurque vers les petites routes qui nous mènent vers le dernier contrôle, celui du musée Fausto Coppi à Castellania. Nous sommes au kilomètre 1479, il 17h00. Après 20 minutes d'arrêt, on repart pour la dernière longue étape de 120 km,  très compliquée et pleine d'imprévus.

 Photo trompeuse à Castellania : on a l'air d'être frais comme des gardons, en réalité complètement cuits

Nuit 6 - samedi /dimanche
Nous sommes dans la plaine du Pô puis celle du Ticino. Le jour est tombé dans une moiteur tropicale. Les moustiques sont  féroces et agressifs. Le premier pont à traverser est celui du Pô, long d'un kilomètre et entièrement pavé ! Beaucoup de voitures, de klaxons, c'est samedi soir. Pour échapper à ça, on porte nos vélos au-dessus du parapet pour rouler sur le trottoir réservé aux piétons, en apparence plus roulant. Celui-ci est apparemment très peu utilisé. Anne est devant. Comme il y a beaucoup de moustiques, il y a aussi beaucoup de toiles d'araignées, et.... d'araignées. Anne : "Je comprends vite que je vais devoir traverser une forêt de toiles, avec ou sans habitantes.  Je suis lancée, je ne peux pas m'arrêter car le passage est très étroit, je suis couverte de toiles, puis je vois des araignées sur  moi et sur mon vélo. Prise de panique, je hurle en roulant et je franchis les derniers mètres à fond. Dès que possible, je mets pied à terre et jette mon vélo en hurlant et sautant comme une folle. Mark qui me suit de près me débarrasse ainsi que mon vélo de tous ces intrus. J'arrive à en rire : "C'est le 6ème jour, je suis dans une épreuve de Fort Boyard". Incroyable à ce stade de la course de devoir en plus subir ça !
  Le Pont du Pô : des cyclistes ont eu la chance d'y passer en plein jour - source : 1001Miglia

Après quelques interminables kilomètres humides dans les rizières, deuxième pont, cette fois-ci sur le Ticino. C'est encore une curiosité : un pont-barge en bois qui repose sur des barques, longueur estimée : 200 mètres. Le problème c'est que la rivière étant basse, les joints d'accès sont très pentus, et ça bouge dans tous les sens, avec un bruit énorme causé par les nombreuses voitures. Anne finit à pied, complètement désespérée.

  Une vraie curiosité ce pont ! - source : office du tourisme

On avance très lentement et le moral est au plus bas, l'ambiance n'est pas très bonne entre nous deux. Enfin, nous sommes rattrapés par un groupe qui se nourrit au fur et à mesure des cyclistes isolés comme nous. Il reste 60 kilomètres qui vont être menés à un train d'enfer jusqu'à l'arrivée mais avec plusieurs arrêts car l'itinéraire est incroyablement compliqué : grands axes, voies sur berge, sous des ponts, sur des chemins, puis grands axes à nouveau.... c'est la folie pour en sortir.
Notre groupe arrive finalement ensemble à 1h18 dimanche matin, nous avons 1637 km au compteur. C'est la libération. Nous sommes partagés entre soulagement et stupeur. Malheureusement, pas de photos de nous à l'arrivée.

Impressions personnelles
Anne : "Sur le vélo, on ne réfléchit pas trop, mais avec du recul,  je peux maintenant distinguer nettement les deux stades par lesquels je suis passée : celui où je me suis sentie plutôt bien, c'est-à-dire jusqu'au kilomètre 1200. Les inconforts physiques étaient alors relativement supportables. Je me disais que c'est comme Paris Brest Paris (que je n'ai jamais fait) : jusque là, tout va bien. L'autre état s'est imposé progressivement et irrémédiablement : celui dans lequel on va, à travers une spirale négative, vers la détérioration physique et mentale.
Le pire pour moi, c'est la chaleur, je la supporte mal. Dans toutes mes épreuves précédentes, les moments les plus difficiles à passer l'ont toujours été dans la chaleur qui pèse sur mon moral. Vendredi et samedi, nous avons traversé une zone de canicule en remontant le long de la Méditerranée : même les nuits sont restées chaudes.
Ensuite, j'ai eu un vrai problème de rétention d'eau : mes jambes ont  beaucoup gonflé, mes chevilles ont disparu sous l'amas de chair, surtout du côté droit. Je suis devenue bouffie, plus épaisse sur tout le corps et aussi beaucoup plus lourde. J'ai ressenti une forte envie de lever mes jambes en l'air... impossible en pédalant. Même les chaussettes de compression n'y ont rien fait, elles sont d'ailleurs devenues trop petites. Tous mes vêtements sont devenus insupportables : gants qui serrent au poignet, bas des lunettes qui me rentrent dans les joues, j'ai même dû couper la taille de mon maillot en trois endroits car il me serrait trop.
Pour le reste, les petits bobos des appuis sont très envahissants : les pieds et les mains engourdis, l'assise sur la selle incommode, pour ne pas en dire plus.
La dernière étape a été très difficile pour moi, et j'ai fait supporter à Mark ma détresse. Je ne voulais plus avancer. Je ne pouvais pas le suivre à 20 km/h sur le plat et je lui demandais constamment de ralentir et de m'attendre. Mark a usé de patience, puis de tous les moyens de persuasion possibles, sans grand succès. Heureusement, à 60 km de l'arrivée, ce groupe de 20 cyclistes est passé alors que nous étions une fois de plus à l'arrêt et Mark a exigé que je les rattrape. Il a bien fait. J'ai donné tout ce qui me restait de force pour sprinter et les rejoindre, dans un énorme effort. Quand nous avons été dans le peloton, ça a été très difficile de me maintenir à leur vitesse, environ 28 km/h. J'étais en permanence à la limite de ce que je pouvais donner pour ne pas me laisser distancer, Mark toujours en protection devant moi pour me tirer. Et ça a duré longtemps... Heureusement, le groupe a stoppé 3 fois pour des erreurs de parcours, ça m'a permis de me reposer un peu. Quand j'ai vu pour la première fois le nom de Nerviano sur une pancarte, j'ai pleuré, beaucoup, d'énormes sanglots bruyants, sans arrêter de pédaler, Mark à mes côtés, cette fois un peu à l'arrière du peloton. Sans ce peloton, nous n'aurions jamais trouvé notre route dans ce dédale et dans l'épuisement mental dans lequel j'étais.
Terrible émotion à l'arrivée, mais pas de joie, pas de satisfaction. Beaucoup de monde, public, organisation, malgré l'heure tardive. J'étais la seule femme dans ce groupe et la 5ème à en terminer. On m'a fait les honneurs, fleurs, médailles, mais j'étais ravagée. Pour la première fois depuis que je fais des épreuves sportives, j'ai eu le sentiment d'avoir fait du mal à mon corps.
Quelques jours après, avec Mark nous en parlons beaucoup bien entendu, nous sommes fiers d'avoir réussi et partagé tout cela ensemble en surmontant l'échec de 2008. C'est en lisant et relisant les lignes qui précèdent que j'arrive à me persuader que c'est bien moi qui ai fait tout cela, car je suis toujours dans une sorte de torpeur et d'incrédulité tant ça me paraît énorme. Mais ce que je dis avant tout, c'est merci à Mark d'avoir été si patient avec moi et d'avoir passé beaucoup plus de temps que nécessaire pour lui sur sa selle pour accomplir ce parcours avec moi. Sans Mark, je n'aurai jamais été au bout."

Mark : " My main reason for doing this 1001 Miglia was to complete the event, to finish, which I was unable to do in 2008 due to my crash after 820 km. To confront my own fears (what's  it like to pass 5 days and nights on the bike ?), to do the ride with Anne, to share this experience together and to have no regrets that we didn't come back and do the event in 2010. So I rode the 1001 Miglia at Anne's pace and not my own which is about 15-20 % faster. So you could think that I was in parcial "rest" mode but I discovered that other aches and pains take their place !
After the 3rd day and night started bad saddle sores that just got worse to the finish, even painkillers didn't dull the pain. A pulled muscle in my neck shoulder (whilst flying my hangglider the week before) turned into a non stop ache/pain due to the head forward position of a cyclist on a bike (long distance riders in RAAM get a similar problem where they just can't support their own head anymore without some sort of brace : sherman's neck). As the days and nights past, the lack of sleep deteriorated our physical condition and lucidity.
Anne tired considerably in the last 12-14 hours on the last day which prolonged our ride by a few hours. I found the last 6 hours very hard to support as I just wanted to ride faster to get it over with, but Anne was really suffering and just could'nt increase the pace.
The group that caught us 60 km from the finish made all the difference and myself and others riders encouraged her in the group - she had 3 energy tubes which helped too !!
The relief at the finish wasn't very deep. It has taken us a few days to let it all sink in : we dit it and we did it together.
I discovered that 24h-30h events don't really compare at all with a ride this long. A Raid Provence Extreme or a Super Rando or Brevet 600km leaves me feeling empty physically from hard pedalling : I give it all I've got, there's one night and then it's over. I can rest. No need to dig deeper each day that passes such a long ride as the 1001 Miglia. The saddle sores and other aches don't happen either - which are a big distraction.
Toscany was so beautiful, the countryside and the towns and villages, it seemed such a shame to pass through non stop in a stuper. We'll have to go back for a more relaxed tour round !

To do this ride with Anne, I got to see just how much will power and courage she has. Sometimes to see your own wife suffering is hard to accept but we were both there of our own free decision. There can be no prouder husband in France than me !"

Mark en français : "Ma principale raison de m'engager sur ce 1001 Miglia était de terminer cette épreuve, ce que j'avais été incapable de faire suite à mon accident en 2008 après 820 km. Mais c'est aussi pour me confronter à mes propres craintes (qu'est ce que c'est que passer 5 jours et nuits sur un vélo ?), de faire cette randonnée avec Anne et partager ensemble cette expérience, de n'avoir aucun regrets en renouvelant la tentative en 2010. Donc j'ai fait le 1001 Miglia à l'allure d'Anne, inférieure à la mienne d'environ 15 à 20 %. Donc vous pourriez penser que j'étais en mode "repos partiel", mais j'ai découvert que les douleurs et autres problèmes de santé ont grignoté cette marge de confort.
Après le 3ème jour et nuit j'ai commencé à avoir des douleurs liées à l'assise sur la selle, qui n'ont fait qu'empirer jusqu'à la fin, même les antidouleurs n'y pouvaient plus rien. Puis une contraction musculaire dans la nuque (due à un mauvais mouvement effectué lors d'un vol en deltaplane la semaine précédente) a provoqué une vive douleur permanente à cause de la position de la tête sur un vélo (les cyclistes qui effectuent la RAAM ont un problème similaire jusqu'au point où ils ne peuvent plus porter leur tête et recourent à un système de support : le sherman's neck). Alors que les jours et nuits passent, le manque de sommeil détériore notre condition physique et notre lucidité.
Anne était considérablement fatiguée les dernières 12 ou 14 heures ce qui a prolongé notre effort de plusieurs heures. J'ai trouvé les 6 dernières heures très difficile à supporter car je voulais juste rouler plus vite pour en finir, mais Anne souffrait tellement qu'elle ne pouvait augmenter l'allure. Le groupe qui nous a rattrapés à 60 km de la fin a fait toute la différence et moi et les autres l'avons encouragée - mais elle a aussi eu droit à 3 tubes énergétiques qui l'ont aussi aidée.
Le soulagement d'en finir n'a pas causé une émotion très profonde.Cela a pris plusieurs jours pour que réaliser : nous l'avons fait, et nous l'avons fait ensemble !!
J'ai découvert que les épreuves de 24 à 30 heures ne peuvent pas vraiment être comparées à une randonnée aussi longue. Le Raid Provence Extrême ou la Super Randonnée ou encore un BRM 600 me prennent toutes mes forces parce que  j'ai appuyé très fort sur les pédales : je donne tout ce que j'ai, il y a une nuit à passer et c'est fini, je peux me reposer. Pas besoin d'aller creuser chaque jour plus profond comme dans une longue épreuve comme le  1001 Miglia. Le mal aux fesses et autres douleurs n'ont pas le temps d'apparaître, ce qui fait une grande différence.
La Toscane était si belle, la campagne, les villes et villages, c'était vraiment dommage d'y passer sans s'arrêter, plongés dans une telle hébétude ! Nous devons y retourner pour une visite plus reposante !
En ayant fait cette épreuve avec Anne, j'ai pu mesurer toute la puissance de sa volonté et son courage. Parfois, de voir sa femme souffrir tellement est difficile à accepter mais nous avions pris tous les deux une libre décision. Il n'y a pas de mari plus fier que moi en France aujourd'hui !"

Quelques chiffres :
310 inscrits, 269 partants, 227 finishers
Les premiers ont mis 72h50, le dernier 134h28
Nous avons mis 124h18
Le temps maximum autorisé était de 135h
Il y avait des participants de plus de 20 nationalités

Commentaires

  1. Durant la course, je suivais un peu les passages en me disant que vous aviez bien de la chance de pouvoir faire une telle épreuve.

    Après avoir lu le compte-rendu, je me suis dit que j'ai peut-être de la chance de ne pas l'avoir faite ;)

    Enfin, bravo, et je pense que bientôt, les mauvais moments estompés, vous n'aurez plus que la satisfaction de l'avoir faite.

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  2. Bonsoir,

    je ne peux être qu'admiratif de ce que vous avez fait. J'aiquand même eu la chance de participer et terminer PBP et LEL, mais j'ai l'impression que vous avez vécu quelque chose de plus dur encore... Pour avoir suivi vos classements sur internet, et suivi le CR de la précédente épreuve, je suis très content que vous ayez terminé ensemble. La fin décrite par Anne m'a tiré des larmes.

    Bravo à vous deux.

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  3. Hello, nous nous sommes côtoyés sur cette magnifique épreuve. Ce fut dur pour tout le monde, mais le plaisir de terminer et de profiter de merveilleux paysages ont effacé bien des tourments. Merci pour les photos que je n'ai pas su faire. Mon petit commentaire à moi : https://docs.google.com/document/edit?id=1-XOBen9iQlX177AjglSgv6ueoY_0eGCzGfMqZeqTvqs&authkey=CPyL4u8O&hl=fr#
    Cdt. Rémy BOURGOGNE

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  4. Très heureux de lire que cette fois-ci il n'y a pas eu de grain de sable. Bravo à tous les deux. J'ai retrouvé les sensations de 2008 : rouler encore et encore malgré la fatigue, la difficulté à ne pas se perdre sur la fin, les ronfleurs des dortoirs, la chaleur sur les routes sans ombre, et aussi la gentillesse des italiens, la beauté des villages perchés, la lumière enchanteuse de la Toscane...
    J'ai aussi apprécié le petit récit sur la SF. Comme Anne j'étais chez moi en Lorraine et surtout dans la Woëvre. Ce fut une excellente semaine pleine d'émotions et de pur bonheur. Récupérez bien et peut-être à l'année prochaine sur d'autres routes. Amicalement.
    Alain COLLONGUES
    ASPTT PARIS

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  5. Ce récit, comme ce que vous avez fait est magnifique. Ce final est vraiment très dur, on le ressetn bien au travers du texte. J'espère que la récupération a été bonne, que ça n'a pas laissé trop de traces . Quel mental ! Bravo , du fond du coeur !

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  6. une fois encore je suis admirative, bravo ! quel courage ! ce qu'il vous faudrait maintenant c'est une bonne thalasso avec bain bouillonnant et massages...

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  7. Merci pour le récit. Pour ma part, j'ai pu discuter un peu avec vous avant le départ.Nous étions alors 6 français ensemble. Suite à 470 km un peu rapide, j'ai effectué le reste en solo. Je retrouvais qq allemeands qui rompaient ainsi ma solitude roulante.
    Selon mes souvenirs, le guè c'est après le contrôle secret.
    Dès que j'ai pu rouler à ma main, mes douleurs aux pieds se sont estompés, cela n'est-il pas la source des pb de rétentions?
    pascal.bachelard@sfr.fr
    PS: je prépare un cr avec photo sur le forum des rubans blans, il faut juste que je trouve un hébergeur ad hoc!

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  8. Hello Anne , Marc

    Un seul mot à cet époustoufant défi . BRAVO BRAVO à tous les deux .

    VieuxBridou ( Pascal)

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  9. je ne connaissais pas cette cyclo mais les images m'ont donné envie de la faire.
    merci
    La Tortue

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    1. En effet, c'est à mon avis l'une des plus extraordinaires randonnées cyclistes proposée en Europe, et elle devrait avoir lieu en août 2014. Bonne préparation ! Anne

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