BRM 600 km : ADIEU ERIC


Il s'appelait Eric Vincent, médecin, marié, 3 enfants. Il est parti avec nous samedi matin  pour le BRM 600 km Gap-Alès-Gap, et il n'est pas rentré.
Percuté par un véhicule dans la nuit, sur une route à grande circulation, Eric n'a été découvert que des heures plus tard, en contrebas d'un talus, dans un ruisseau, son vélo disloqué. La collision avec un véhicule ne fait aucun doute. Son vélo pourrait avoir été déplacé. L'enquête en dira plus.
Eric a été victime d'un double drame : celui de la vitesse, celui de l'abandon.

Faire du vélo sur des routes à grande circulation de nuit, dans des conditions météo difficiles, peut paraître excessivement dangereux. Chaque année des cyclistes perdent la vie ainsi, plus souvent les années de Paris-Brest-Paris (tous les 4 ans) quand beaucoup de brevets qualificatifs sont organisés.

Nous vivons dans une ère de responsabilité : tout acte de la vie a un responsable désigné. Il faut espérer, si ce chauffard reste caché, qu'il vive les pires tourments toute sa vie.

Pour les non-initiés, faire du vélo de nuit peut paraître dangereux. Pour les cyclotouristes puristes, passer une nuit sur son vélo, c'est comme un rite initiatique, une transgression. On a vécu quelque chose d'unique et l'envie de recommencer s'impose vite.
Les comportements des uns (cyclistes) et des autres (véhicules), forcés de cohabiter, peuvent être orientés  pour que jamais à l'avenir la pratique du vélo de nuit ne soit interdite ou déconseillée. Orienter les pratiques, cela tient parfois à quelques mots qui peuvent revenir en mémoire et déterminer le comportement au moment où le cycliste choisit de rouler seul ou de rester en groupe, de s'arrêter pour se reposer ou de continuer dans la nuit.

Nous avons constaté Mark et moi, au cours de nos expériences, plusieurs approches sur le sujet :

- La FFC (Fédération française de cyclosport) organise des épreuves dans lesquelles tout ou partie se fait de nuit (Raid Provence Extrême, Tour du Mont Blanc, 1001 Miglia, Superando, etc). Ces épreuves comportent obligatoirement un briefing, souvent la veille au soir, parfois le jour même. Il y est question de l'itinéraire à parcourir, mais surtout de sécurité : porter des vêtements réfléchissants, ne pas rouler seul de nuit si c'est possible, avoir un éclairage approprié. Ces équipements sont vérifiés avant le départ  par un commissaire de course. Sur l'itinéraire, les conducteurs sont informés du déroulement d'une course cycliste, quand cela est possible.


- Les épreuves d'ultradistance (type RAAM, Race Across America) sont encore plus sévères sur le sujet : chaque cycliste a un véhicule suiveur qui fait écran. Si lors d'un contrôle inopiné, le véhicule est absent, le cycliste a une pénalité de temps, qui peut aller jusqu'à la disqualification.

- La FFCT (Fédération française de cyclotourisme) organise des brevets et des randonnées de longue distance. Il n'y a pas de briefing, l'équipement n'est pas vérifié, on part du principe que le cycliste est responsable et bien informé. Il n'y a pas d'incitation à rouler en groupe de nuit. Les itinéraires des brevets privilégient les grands axes pour que les distances parcourues soient les plus longues possible, sans trop de dénivelé, sur des routes de bonne qualité.

Ceci dit, Eric était apparemment en règle, cette photo de lui le prouve : vêtement réfléchissant, bande réfléchissantes et éclairage sur le vélo. Mais il était seul sur une route nationale, un samedi soir de "grand week-end".

PS : le suspect a été identifié et écroué jeudi 9 juin : alcool et assoupissement au volant.
Eric, à gauche
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Chaque année depuis 6 ans maintenant, nous faisons une longue distance, type 600 km fin mai. Cet événement conditionne notre entraînement et est une source de motivation pour rouler l'hiver qui précède. Cette année, pas de Raid Provence Extrême, je décide de le remplacer par la série des brevets, organisés par le club cyclotouriste de Gap. J'effectue les 200 et 300 km en condition de "contre la montre". Pour le 400 km, Mark avait proposé de m'accompagner pour ne pas me laisser rouler seule la nuit. Mais nous nous désistons au dernier moment à cause de conditions météo épouvantables.
Pour le 600 km, samedi 4 juin, malgré des orages annoncés, nous nous lançons. Mark n'a pas l'entrainement nécessaire, mais il aborde cette épreuve avec enthousiasme et nous sommes heureux de partager ce projet.

Les photos qui sont ci-dessous ont été prises lors de notre périple, alors que nous étions dans l'ignorance du drame. Nous suivions Eric d'environ 3 heures. Nous sommes donc passés tout près de lui, sans savoir. 

Je regrette de n'avoir pas dit un mot à Eric alors que nous prenions un café ensemble au départ alors qu'il avait été si gentil avec moi au cours des brevets précédents où j'avais remarqué ce cycliste élégant et sportif. Pour lui cela n'aurait rien changé, pour moi c'est une occasion définitivement manquée. Je pense à sa femme, je pense à ses enfants.

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Derrière moi, 2 des 4 vélos couchés engagés dans l'épreuve

Derniers coups de pédale au sec, kilomètre 200



Pont du Rhône à Tarascon, 21h30
Entre ces photos, la nuit s'est déroulée sous la pluie très forte. Nous nous sommes réfugiés à quatre reprises dans des abris parfois pas très bien choisis. L'apothéose s'est déroulée avant le lever du jour, entre Céreste et Forcalquier. Cet orage a duré environ 4 heures.


Sur le pont de la Bléone, à Malijai, kilomètre 485. Dans un véhicule que nous avions garé à la mairie, nous avons pu nous changer et mettre des vêtements secs et chauds. Mark a un sac plastique sur la tête.


Je ressemble à un motard...


photo : Jean-Philippe Battu


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Commentaires

  1. Adieu Eric. Tristesse infinie. Sophie

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  2. Un message à Mme Vincent.
    Elèves et parents du collège de Laragne

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  3. Quel gâchis; Eric était véritablement le plus voyant de tous les partants, et de loin. J'avais été étonné par cela au départ, alors que je pouvais encore le voir sans difficulté à au moins 1km de distance devant moi, sinon plus. Si je ne me trompe pas, il portait 4 feux à l'arrière: 3 sur son vélo, 1 sur son casque. On peut dire de lui qu'il prenait la sécurité très au sérieux. Il ne saurait être question de manque de visibilité dans son cas, surtout que l'accident s'est produit sur une longue ligne droite à un moment où il ne pleuvait pas.
    Bien que cela ne ramènera pas une personne objectivement méritante, je passe mes plus sincères condoléances à tout les siens.

    Un des vélos couchés qui était sur le brevet (celui qui fait un "V" sur la photo du pont).

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  4. Salut Anne et Marc
    Merci de votre récit. j'ai apprécié rouler avec vous par moment, vous voir et vous revoir et vous vous voir arriver. J'ai commencé la descente du Col de Cabre avec Eric, puis il s'est arrêté à Beaurieres sur la gauche avec Richard. Richard est reparti avec moi et Eric nous a repris lors de la descente vers Puy Saint Martin. Nous nous sommes séparés avant Sauzet. Quand je suis passé sur les lieux de l'accident, il était certainement 2h00 ou 2h30 du matin et je n'ai rien vu. Rien vu car tout avait été camouflé. J'ai l'impression qu'on nous a volé un camarade, un copain que je ne connaissais pas mais qui avait la meme passion que la notre. Pauvre Eric...
    Jean-philippe

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  5. Ses parents sont de ma ville St Marcellin , parfois j'ai honte d'être aussi un automobiliste ! c'est fou comme les gens deviennent parfois des " bêtes " à tuer .....la cicatrice sera longue à se refemer pour le monde des amoureux de la petite reine ...

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  6. J'ai appris ce drame épouventable en rentrant de mon BRM600 le week end dernier.
    Que dire de plus que je pense très fort à sa femme et à ses gosses.
    Ceci dit, au vu de ce que j'ai compris du chauffard, il aurait été avec d'autres sur la route, tout le monde aurait été fauché.

    Je reviens par contre sur un point où tu indiques qu'il n'y a pas de contrôles de matériel en FFCT.

    C'est assez souvent vrai mais je tiens à souligner les contrôles systématiques réalisés à Grenoble (Lumière avant, Arrière, Gilet Jaune) et cette année à Bourg où l'on nous demandait même 2 lumières avant (en état de fonctionnement), 2 lumières arrière et le gilet jaune.

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  7. Bonsoir Cricri, je me réjouis qu'il y ait des contrôles sur l'équipement des cyclistes dans certains brevets. Jean Philippe Battu m'a dit le faire sur ses propres brevets. C'est une pratique à encourager pour rappeler au cycliste qu'il n'est malheureusement pas le plus fort sur une route de nuit... Mais une incitation à rouler en groupe la nuit peut être utile aussi !
    Cher Olivier : je suis automobiliste moi aussi, et je n'ai pas honte, j'observe beaucoup de civisme sur les routes la plupart du temps. Mais quand l'alcool s'en mêle... que faire ?

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  8. Anne et Mark, j'ignorais que vous étiez sur le même brevet qu'Eric. Comme tous les cyclotouristes/cyclosportifs, les circonstances de sa mort accidentelle m'avait terriblement émue. Lire ton article ci-dessus, Anne, me fait deviner les sentiments de consternation, d'horreur et l'immense tristesse qui ont dû être les vôtres lorsque vous appris l'inconcevable nouvelle. J'imagine que son souvenir vous accompagnera sur les routes vélo, désormais. Puisse-t-il vous garder sains et saufs !

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  9. C'est très triste, et vraiment très lâche de la part du chauffard. Les cyclistes sont des usagers de la route très vulnérables, la sécurité routière devrait régulièrement communiquer sur le fondamentaux liés au partage de la route entre vélos, voitures...

    Toutes mes pensées vont à sa famille.

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