EMBRUNMAN 2011

L'Embrunman est une épreuve de triathlon dont le format dépasse les traditionnels Ironman, ce qui en fait l'un des plus difficiles du monde, mais aussi des plus magnifiques par le cadre dans lequel il se déroule. La natation prend place dans le plan d'eau d'Embrun sur 3,8 km avec un départ de nuit. Le vélo compte 188 km et 3550 m de dénivelé avec le passage du col d'Izoard. Enfin, le marathon comporte un dénivelé important.
Comment me suis-je retrouvée au départ ? Un brin de folie, une envie qui remonte à plusieurs années et, sur le plan "pratique", je suis venue en voisine.
Je me suis présentée moins bien préparée que je ne l'étais l'an dernier pour l'Ironman de Nice : j'ai été handicapée par une blessure pendant 3 mois au printemps et je n'ai pas pu courir suffisamment.


Lundi 15 août 2011, jour le plus long
Mark et notre amie Sidonie m'accompagnent et nous quittons le camping d'Embrun un peu avant 5 heures pour rallier le parc à vélo au plan d'eau, centre névralgique de la course. Ultimes contrôles, le règlement est très strict et les contrôles prennent du temps. Enfin, j'entre dans mon espace personnel où j'ai déposé mon vélo hier, chargée de toutes mes affaires pour la journée. Nous sommes regroupées entre filles tout près de la sortie natation. L'ambiance est très sympathique. Mais je ne suis pas en avance, et je m'active un peu : il faut enfiler la combinaison néoprène qui permet de résister au froid  (et surtout de mieux flotter). Froid pas vraiment puisque l'eau est à 22 ° et l'air environ à 14°. 

Natation
La trentaine de filles (sur 1000 inscrits) et un candidat handisport sommes regroupés près de l'eau, sous les yeux du public très nombreux et nous partons à 5h50. J'appréhendais énormément ce moment : nager dans le noir n'est pas vraiment une idée attractive... Au briefing de la veille, on  nous a, de façon éhontée, affirmé que les 5 bouées à contourner 2 fois seraient éclairées et qu'un gyrophare serait placé à l'opposé du lac, en point de mire. Rien de tout cela, nous sommes dans le noir total, avec beaucoup de lumières partout sur les rivages dont on ne sait pas laquelle il faut suivre. Dès le départ, je bois copieusement la tasse par une faute d'inattention et je mets du temps à reprendre mon souffle. Je me retrouve vite dernière (c'était prévu, je ne nage pas vite) et je perds de vue mes camarades. L'eau est si claire, douce et chaude, c'est à peine imaginable... On voit le fond par endroits, les algues et les petits cailloux qui brillent sous la pleine lune, c'est magique.
La première bouée passée, puis le ponton où est massé le public (Mark et Sidonie y sont placés) et après j'avance au jugé. Je finis par voir un kayak sur ma droite et demande la direction.  Le très jeune garçon qui pilote m'indique une bouée que je ne vois pas. Je continue, il me suit et me fait des gestes. Je lui demande cette fois-ci de me montrer le chemin, il s'exécute mais part trop vite et je le perds de vue... A ma gauche, je vois soudain les hommes, partis à 6h00, qui arrivent, je suis assez loin d'eux. Je me rapproche et je me joins au groupe, certes moins vite, donc je prends beaucoup de coups car c'est tout le problème de nager en groupe : un nageur ne regarde pas devant lui ! La bouée la plus éloignée et passée, le jour se lève, j'y vois mieux et je suis calmement mon chemin. Au deuxième tour (1,8 km), je suis enfin échauffée, mon mouvement est plus ample et plus efficace. Les endorphines font leur travail et j'entre dans l'euphorie qui va m'accompagner longtemps. Je suis bientôt dans la longue ligne droite du retour (850 m), j'entends les acclamations du public, quelle expérience cette sortie de l'eau après 1h30 de natation ! J'aperçois Mark et Sido qui m'appellent, grosse émotion !
Je me précipite vers mon espace personnel, me change assez rapidement sous les yeux des spectateurs et je cours le vélo à la main avec mes chaussures de vélo au pied (les pros accrochent les chaussures aux pédales et chaussent en roulant) jusqu'à l'arbitre qui indique la ligne où on est autorisé à monter sur le vélo.

Vélo
A 7h30, c'est parti pour 188 km, dans la douce lumière d'Embrun, il fait très doux. On attaque tout de suite la montagne par une montée continue de 500 mètres de dénivelé, l'équivalent de monter un petit col à froid. Mon souffle met longtemps à se calmer et je commence à entrer dans mon rythme régulier. La route en corniche vers Saint-Apollinaire surplombe le lac. Dans chaque hameau, il y a beaucoup de public qui n'est pas avare d'applaudissements. C'est splendide et ça devient assez roulant avant une longue descente dangereuse.

Traversée du Lac du Serre-Ponçon à Savines et remontée sur Embrun par la route nationale, déjà beaucoup de circulation et d'encouragements qui fusent des voitures. A Embrun, nous quittons la nationale pour Saint-Clément par une très jolie petite route, assez sportive, sans répit. Je passe Guillestre et je m'engage dans les gorges et la vallée du Guil, long faux plat montant. J'ai des cyclistes devant et derrière moi et la règle du non drafting nous impose une distance de 7 mètres. Je retrouve Mark qui est venu en vélo et m'attends dans les premiers lacets du col. Il se tient à distance de moi, les arbitres sont omniprésents et bien visibles dans leur tenue rayée. Aucune assistance ni accompagnement ne sont permis.

La grimpée du col de l'Izoard se déroule au mieux, bien que les ravitaillements soient avares en liquide (des bidons à moitié, voire au quart remplis de coca) et peu attractifs en solides... Je suis contrainte de demander de l'eau à un spectateur dans une voiture avant le sommet.
J'atteins le col 30 mn avant l'horaire disqualificatif. Après avoir passé le contrôle tapis et pris mon ravitaillement personnel dans ma besace, j'effectue une descente très rapide, la circulation en sens inverse étant neutralisée.
Retour dans la chaleur à Briançon et les difficultés commencent là : d'abord parce qu'il fait très chaud, la brise de vallée de face est forte et la succession de côtes est éprouvante. S'ajoute la fatigue générale après déjà 8 heures de course...  Autour de moi évoluent les mêmes cyclistes depuis le début, nous nous sommes naturellement regroupés par niveau.
Dans les villages l'ambiance est toujours extraordinaire, beaucoup d'enfants, de vacanciers qui sont très organisés : un guetteur relève le numéro de dossard au dos du cycliste, le suivant trouve le prénom du concurrent dans la liste distribuée sur tout le parcours, et le groupe vous appelle et vous encourage. A l'applaudimètre, être une femme n'est pas un désavantage.  Dans les côtes les plus difficiles (notamment Pallon : 2,5 km à 12 % avec un passage à 22 %) le public est présent, nombreux et se déchaine.

Nous retournons vers Embrun par la même route empruntée le matin le long de la Durance et là je retrouve Mark et Sidonie. La fin du parcours est terrible : nous faisons un détour de 9 km par Chalvet. Je n'avais pas pris au sérieux, en étudiant le parcours sur la carte, cette succession de grimpées. Mais la dernière est très usante : 4 km à 10 % dans la fournaise. J'en viens à bout et j'entame la descente qui n'est pas des plus reposantes avec son très mauvais revêtement.

Course à pied
Enfin au bout j'arrive au plan d'eau d'Embrun, point final du parcours vélo, j'ai 20 mn avant le temps règlementaire et les jambes en béton... Je rejoins mon espace personnel pour changer d'équipement et je me demande bien comment je vais pouvoir courir 42 km...
Mark et Sidonie sont en ville où les gens attablés aux terrasses font des Ola! à tous les coureurs. Quand c'est mon tour, j'ai du mal à retenir mes larmes tant l'accueil est chaleureux. Le public sait vous transformer en star du jour ! On y croirait presque mais la réalité est bien là : je suis dans le dur, percluse de crampes dès le début de la course à pied.
Ce parcours est très varié et monte et descend sans cesse, sauf sur la digue de la Durance. Les ravitaillements sont vraiment aléatoires : aucune aide ne pouvant venir de l'extérieur, il ne faut compter sur aucun apport de nourriture, sauf un ravitaillement personnel au kilomètre 20, que je n'utiliserai pas.
Mais à ce stade de la course, se contenter d'eau quand il n'y a plus de coca, de pomme de terres à l'eau, de tomates, oranges, citron, bananes et abricot sec : c'est un peu léger. Si on évite les aliments acides, ce qui est le cas de la plupart des sportifs, il ne reste plus grand chose... C'est comme cela qu'à la nuit tombée, je me retrouve l'estomac complètement vide. Je passe tant bien que mal le kilomètre 29, le plus souvent en marche rapide car je ne peux plus courir, ou si lentement que l'effort n'est pas rentable. J'ai subitement très froid, et faim, mais je ne sais plus quoi manger. Mark et Sido me proposent une compote et une barre de céréales que je garderai à la main.  Il est 21 heures, le temps limite officiel est 22h30 mais la tolérance accorde une heure de plus. Selon nos calculs, à 6 km/h heures, je peux finir.
Dans cette longue ligne droite de la digue à Baratier, soudain je me sens complètement épuisée, je titube, je suis à bout et je m'affale sur un banc. Il n'y a pas de question à se poser, le corps dit non, je n'irai pas plus loin. Mark va chercher de l'aide, un camion de la Croix Rouge m'embarque. Je suis absolument à bout, à tel point que je ne ressens pas de tristesse ni de déception, mais un peu d'inquiétude aussi car je ne me sens vraiment pas bien et pas lucide. C'est donc un total soulagement... mais pas encore d'amélioration car, sitôt allongée, je suis prise de crampes et de tremblements qui se poursuivront encore longtemps. Je suis transie de froid. Un kiné et une ostéopathe me font des soins et des massages après que j'ai vu le médecin.
Le bilan n'est pas négatif : je suis allée au bout de moi-même, j'ai fait tout ce que j'ai pu, sans commettre d'erreur sur le plan alimentaire ni technique. Je garderai de l'Embrunman le souvenir d'une épreuve fantastique. Si je ne l'avais pas tenté un jour, c'est sûr que je l'aurais regretté toute ma vie !

Commentaires

  1. 'les jambes en béton' dis-tu... peut-être, mais ce qui est sûr, c'est que le mental, lui, est en béton!
    En plus le récit est excellent - clair, précis, instructif, et en même temps palpitant (on est plongé dans l'ambiance), et vraiment impressionnant... sans la moindre fanfaronnade. Modestie et courage. Chapeau!

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  2. Merci Sophie. Je suis comme toi, j'aime les défis ! Merci Jmax :-)

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  3. Bravo Anne! Je ne savais pas qu'on habitait dans le meme coin (Digne)! On s'est souvent croisé au DFU, ou Ventoux Master Series, mais jamais abordé... En espérant que 2012 soit enfin l'occasion!

    Denis Tissinier

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  4. j'ai les larmes aux yeux en lisant ton compte-rendu. Tu es allée au bout de toi même, l'effort a été dur, intense. Rien que pour cela, je te tire mon chapeau. Milles Bravos ANNE.

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  5. Bonjour Denis,
    j'ai entends parler de toi aussi (par Michel Roux notamment), on va surement se croiser un jour sur les belles épreuves de notre région !

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  6. Merci pour le chapeau Cricri et bonne route sur ton PBP, je suivrai ta progression :-)

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  7. Coucou Anne .... Ton courage est admirable. GRAND GRAND BRAVO à toi de tenter de tels défis !!!! Trés heureux d'avoir apperçu ton nom sur la liste des randonneurs au départ du 1000 du Sud
    A trés bientôt
    Poucet

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  8. Bravo Anne, c'est fort, c'est vraiment très fort ce que tu nous transmets ... tu vas passer la ligne haut la main cette année ;o)

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    1. Merci Anne ! je me sens mieux préparée cette année, et j'ai l'avantage d'être déjà passée par là ! J'aurai bien besoin des encouragements des filles du CAF !! Je me languis d'y être à nouveau !

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