Chaos dans le Verdon

 
Verdon Canyon Xtrem 110 km 7800 D+- Moustiers Sainte-Marie (04) - vendredi 13 juin et samedi 14 juin 2014

Le Jour J arrive enfin et commence plutôt bien : après une matinée au boulot, Mark me rejoint et nous filons à Moustiers. Retrait du dossard, dépot du sac de rechange, installation au camping, derniers préparatifs et repas de pâtes convivial. Nous montons au village de Moustiers, très chouette ambiance. A 22h, le départ est donné, nous sommes (je crois) 180.

Moustiers-Sainte-Marie au soleil couchant : agrandissez cette photo, vous verrez son Etoile
J'ai un petit rythme de 7 km/h pour la première étape de 20 km (il y a 6 étapes d'environ 20 km) et nous longeons le lac de Sainte-Croix sous la pleine lune : c'est magique. Arrivée à Aiguines pour le 1er contrôle : quelques minutes d'arrêt pendant lesquelles j'ai le temps de recharger en eau mon camel bag et manger une soupe. Je repars vite et nous montons vers le Grand Margès (1500m). Dans cette montée, je fais 3 arrêts techniques (incroyable : mes intestins n'ont pas supporté la soupe !) et une petite série de crampes mais je réussis à me retaper rapidement.  

Le balisage est extrêmement précis et lumineux : avec toujours une balise dans le champ de vision, il est difficile de se perdre.

Certains chemins sont comme des tunnels dans la végétation, c'est très humide et glissant. Extraordinairement technique. On était prévenus et les chemins autour de chez moi sont comme ceux-là. C'est le genre d'endroit où il ne vaut mieux pas courir... surtout de nuit. Question sécurité, je rencontre 3 personnes postées à des endroits difficiles équipés de corde. Mais en cas d'accident, aucun moyen d'être évacué sauf sur ses deux jambes et encore faut-il pouvoir appeler les secours : sur le parcours, la couverture réseau est très parcellaire. Je trottine quand c'est possible mais je maintiens une vitesse horaire de 4,5 km/h. Avec tant de dénivelé, c'est conforme à mes prévisions.
Les gorges le matin...
... et l'après-midi
Au lever du soleil, nous découvrons l'extraordinaire paysage sur le lac de Sainte-Croix : c'est fantastique. A 6h38 (km 38), je pointe au contrôle du Camping Galetas, et je réveille Mark dans notre tente. Je me change, refais le plein, mange un peu et je repars. 2ème traversée du Pont Galetas (c'est celui qui donne sur les gorges du Verdon et sur lequel j'ai tant de souvenirs : ici en photo avec Romina dans le Raid Provence Extrême). Nous montons 600 m d'un coup dans la forêt, j'ai un bon rythme et je double. Arrivée sur le plateau herbeux, plusieurs concurrents dorment et j'aurais dû en faire autant ! 
Photo prise par Mark en vol 5 jours après : le parcours arrive par l'ouest, passe le Pont du Galetas (que l'on franchi 3 fois en tout. Sur la rive nord on voit le camping du Galetas, ravitaillement n°2
Dans la partie suivante, j'ai un coup de barre monumental et j'avance très lentement. C'est une partie très technique et vertigineuse, sécurisée avec des cordes. Heureusement que j'ai fait des Via ferrata dans ma vie, ça m'a aguerrie mais devant moi, certains ont le vertige.

Quand j'arrive enfin à la route, Mark est là sur son vélo. Il fait le tour des Gorges et fait un détour pour me voir. Nous sommes très synchro (comme toujours dans la vie :-). Je suis en mauvais état, je ne suis pas suffisamment lucide et il me fait allonger sur le bas côté pour tenter de dormir 5 mn. ça me fait vraiment du bien et je repars pour les derniers 4 km où j'avance mieux.

 J'arrive au Chalet de la Maline à 13h00, très en avance sur mon planning, je mange des pâtes et je m'allonge sur un lit de camp. Quand je demande ma position, on ne peut me la donner mais on me dit qu'il y aurait déjà 50 abandons.

C'est alors que dans un demi-sommeil, j'entends les mots "Alerte Météo France aux orages de niveau 3". Merde alors ! Avec Mark (Mr Expert-Météo), nous avions surveillé l'évolution des prévisions et nous savions que ce trail serait arrosé, mais une alerte 3, c'est pas prévu ! Je regarde autour de moi : personne ne semble inquiet. Je remballe vite et je pars dans le fantastique sentier qui descend vers le Verdon pour le traverser par la nouvelle passerelle et remonter aux Cavaliers. Il commence à pleuvoir alors que je suis tout en bas. Je mets mon Kway et je suis vite trempée dedans et dehors... Il fait encore chaud et ça monte sec par de grosses marches très glissantes. 

L'orage tonne, je vois les éclairs, des petits grêlons et il tombe des cordes. Mark m'avait dit qu'il est impossible d'être touché par un éclair au fond d'une gorge donc je continue.  J'arrive à la route et Mark est là comme prévu, cette fois-ci avec notre voiture. Il pleut fort à nouveau puis ça cesse.

Il est 15h. Je pars avec 2 Suisses dans la montée de la Petite Forêt. Bon rythme et on avance bien, mais il pleut à nouveau. J'ai gardé mon Kway donc je continue sans mes compagnons qui s'arrêtent pour s'équiper. Il y a maintenant beaucoup de concurrents du parcours du 60 km qui nous rejoignent (et nous dépassent) et nous montons à la file dans cette très belle forêt de hêtres. Mais l'orage redouble, je vois des petits grelons puis des gros, ça fait mal. Je m'arrête avec une dizaine d'autres sous un grand arbre. Nous jetons nos bâtons à la pointe métallique un peu plus loin. Notre groupe grossit. Les grelons aussi : ce sont maintenant des billes. ça fait vraiment très mal. Comme me l'expliquera Mark ensuite, dans un orage, les grêlons n'ont pas seulement la force de leur propre poids dans la chute, ils sont projetés à terre par la masse d'air et le souffle de l'orage. Ce sont des projectiles.

J'ai vraiment peur, je ne panique pas, mais je ne sais pas quoi faire ! Où aller pour se protéger ? Le niveau de grelons au sol monte jusqu'à 20cm. Si nous grimpons encore, il fera plus froid et les grelons risquent d'être plus gros : je me dis qu'un grelon comme balle de ping-pong, ça peut traverser le crâne et tuer quelqu'un ! Je me sens vulnérable avec ma casquette et ma capuche pour seule protection. Les éclairs sont effrayants. Il fait très sombre. Il est 17h.

Soudain, je vois des coureurs dans l'autre sens : je les reconnais ce sont les 3 avec qui nous jouons au chat et à la souris depuis ce matin. Le meneur du groupe nous dit qu'il faut descendre car c'est trop dangereux. Je comprends qu'il a raison et je les suis. Puis les dépasse. Je n'ai jamais couru (environ 4 km ?) aussi vite en descente.

Devant nous, le sol est complètement blanc traversé de torrents d'eau, de boue, de débris dévalent la pente et font des marques dans la grêle. On ne voit plus le sentier : heureusement qu'on peut suivre les balises dans l'autre sens. Je cours comme une malade. La boue, les pierres glissantes, les racines, la grêle : il ne manque que des peaux de banane ! Me voici enfin sur la route, certains ont sorti leur couverture de survie. Je fais du stop plutôt que d'attendre un hypothétique rapatriement.

Depuis un moment je m'inquiète pour Mark qui s'inquiète pour moi aussi évidemment : notre prochain RDV était au sommet du Grand Margès. Je sais qu'il a garé la voiture à Aiguines et est monté à pied à contresens pour me retrouver. Pas de réseau téléphonique. Quand nous nous parlons enfin au téléphone, il me dit avoir ressenti les vents et le souffle formidable de cet orage démesuré au sommet du Grand Margès. 

A Aiguines, la salle du contrôle est transformée en cour des miracles. Les bénévoles nous bichonnent mais l'ambiance est tendue. Mark arrive enfin : après 93 bornes en vélo ce matin,  voilà qu'il se met au trail ! Nous partons à 18h30, retour à la tente, retour à Malines à 20h30 pour récupérer mon sac et croiser juste les derniers coureurs qui sont rapatriés.

Il fallait être très rapide pour échapper à l'orage. Pour les plus lents, impossible de passer à travers. Résultats : 180 partants, 81 classés...

Bilan sportif : 77 km et 3800 de D+. J'ai compté les 4 km que j'ai fait en descente pour fuir l'orage. Pas de bobo ni de courbatures, pas de chute : je suis au point question entrainement. Il me faudrait juste apprendre à descendre un peu plus vite sur des sentiers techniques. Mais je me dis aussi que descendre vite est facteur de chute et de blessure, donc pour le moment, ça va bien comme ça!
Photo prise en vol par Mark le 19 juin. A droite on voit le Grand Margès (on a pris l'orage dans la grande forêt en dessous), on voit aussi le Champ de Tir
Equipement et alimentation : 
- lampe : ça fait rigoler tout le monde quand on me voit avec cette frontale très proéminente, mais je n'utilise que ma lampe de vélo (Hope) qui fait penser à une lampe de mineur. Avec Mark on avait acheté cet équipement pour nos longues distances en vélo. Elle se porte sur la tête et je mets la batterie au fond de mon sac. Le poids d'une batterie doit être d'environ 300gr. Avec 5 positions, elle éclaire comme une mobylette et dure largement toute la nuit. J'ai une 2ème batterie que j'ai mise dans mon bag drop à la Maline pour la 2ème nuit. J'ai entièrement confiance dans cette lampe, souvent des coureurs se placent derrière moi pour profiter de l'éclairage.
- sac à dos trop petit (Quechua extend 12l), je n'ai pas la place pour un  vêtement chaud ni un rechange, mais il est vrai qu'avec mon arrêt prévu à la tente, et le sac à la Maline, je me suis changée 2 fois.
- batons Ultra Distance Z Black Diamond : ils sont super ces bâtons, je les ai beaucoup plus utilisés en descente que d'habitude et j'ai fait 100% des montées avec. Quand je ne m'en sers pas, ils sont pliés sur mon ventre, glissés entre la ceinture ventrale et celle de la poitrine.
- chaussures : Asics Fuji Attack, ce sont celles qui ont le plus de grip, j'ai entière confiance en descente. L'amorti est assez moyen mais je n'y suis pas sensible étant d'une constitution très robuste. Inconvénient : les crampons s'usent très vite, une paire tous les 2 mois...
- Kway Raidlight 10000 machins, 250 gr. grand comme la main plié. Assez déçue vu le prix, j'ai été trempée à l'intérieur par ma sueur mais il est vrai que je n'ai pas eu froid sur le corps. En fait, on ne reste isolé de l'humidité que si on ne bouge pas, et sans bouger on a froid... 
- camel bag 3 litres : c'est nécessaire avec un  ravito tous les 20 km par cette chaleur. Je l'ai rechargé à chaque contrôle avec de l'eau plate et un sac de 3 cuillères de malto et 3 cuillères de poudre iso. C'est bien mais le malto a tendance à coaguler et à boucher le tube, il faut vite remuer et souffler dans le tube. Avec ce mélange, je mange beaucoup moins. Le camel bag plein prend beaucoup de place dans le sac !
- petits trucs : une pastille de sel toutes les 4h environ. Sporténine régulièrement. Et gingembre confit en petit cube: c'est bien car ça rafraichit la bouche, picote le nez et surtout je trouve que ça me booste.
- GPS : j'ai un GPS géonaute avec la trace du parcours. Il a une autonomie de 10h et un grand écran. Je l'ai rechargé en courant avec une batterie amovible (se charge sur secteur + port USB) qui a la taille d'un paquet de cigarettes que j'ai glissée dans la manchette sous mon bras. Tout a bien fonctionné. J'ai aussi une montre et un GPS de secours (sans la trace). J'ai besoin de connaître ma vitesse horaire moyenne, c'est l'habitude du vélo ! Je m'étais calée sur une progression (arrêts compris) de 4,2 km/h.
- Pour manger : barres de céréales, pâte d'amande et rien d'autre : mon estomac tourne au ralenti, donc je dois très peu manger mais souvent.

* * *


Commentaires

  1. Quelle aventure!
    J'ai adoré le terme "arret technique" suite à l'ingestion de la soupe! Tu viens au trail du Cousson en Octobre?
    Denis

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    1. Hmm ... un pas devant l'autre comme on dit :-) d'abord je vais récupérer un peu. A bientôt !

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    2. euh quand tu dis "tu viens au trail du Cousson" ça veut dire que tu y vas ?

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  2. je faisais parti des malheureux au sommet de la cote du Marges, et obligé de redescendre transi de froid en hypothermie et rapatrié par deux americaines !
    C'etait tres impressionnant, et ça faisait effectivement tres mal !
    Je suis du secteur, cette zone est mon aire de jeu, je connais tres bien, et il etait impensable de faire les 7 derniers kilm avant de rejoindre Aiguines. En couverture de survie et avec nos paratonnerre carbonne c'etait pire que tout....

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    1. oui je me rappelle bien de toi : je crois que les deux Américaines étaient plutôt des Allemandes ;-) et je suis sûre qu'elles parlent encore de leur rencontre sur cette route !!! Mais toi tu n'étais vraiment pas assez couvert... c'est pour ça que je t'ai engueulé dans la descente et cédé ma place dans la 1ère voiture !

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  3. salut ! dommage qu'on aie pas pu rester ensemble, on t'a laissé au bord de la route de Malines, quand tu as retrouvé juste après ton coup de barre ! On a revu Mark en redescendant de Margès, on lui a déconseillé de monter, j'étais sûr que tu avais été obligée de rebrousser chemin.
    Nous on a serré les dents, mitraillés par les grêlons, mais on avait tellement peur de la foudre qu'on a fait une descente d'enfer jusqu'au ravito :-)
    Fini en 30h sous le deuxième orage, avec de la boue jusqu'aux chevilles dans le sentier et trempés jusqu'aux os malgré les 12000 machins nous aussi.
    Le T-shirt finisher 2014 sera collector !!!

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    1. De vrais héros !!! bravo mille bravo, je sais ce que vous avez affronté ! bonne récup ;-)

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    2. j'étais parmis les 3 du chat et de la souris.
      content de ton récit trés véridique mais surtout la décision de repartir dans l'autre sens était sensée.
      pour info l'alerte météo de maligne était pour 19h00.
      david

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    3. Contente d'avoir de tes nouvelles : je sais l'enjeu que représentait cette course pour vous 3, et je mesure votre déception ! mais notre sécurité à tous a primé, donc au final il faut se réjouir ... Partie remise :-)

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