Chasse aux cols autour du Mont Viso

"Chérie, ce soir on part dès que tu rentres du boulot et on va dormir dans la voiture" : voilà le genre de surprise que j'adore, particulièrement après une journée très chargée...


Partis à la nuit tombée, nous nous garons à l'Echalp (alt 1680m), dernier hameau de la haute vallée du Guil dans le Queyras sous un fantastique ciel étoilé. Le temps de transformer notre Kangoo en lit, la fraicheur de la nuit nous surprend. Au lever du soleil, il fait -2°C et il a gelé à l'intérieur comme à l'extérieur de la voiture. Le meilleur moyen de se réchauffer est de monter sur nos vélos : après un petit déjeuner et un café avalé au bourg voisin, nous nous activons pour partir au plus vite.
Le Lac Lungo, près du refuge Granero
Ce tour en VTT va nous emmener autour du Mont Granero et du Mont Viso  pour inscrire de nouveaux cols à mon tableau du "Club des Cent Cols". Plus ils sont hauts et difficiles à atteindre, plus ils ont de valeur à nos yeux et nous essaimons méthodiquement les Alpes du Sud depuis quelques années dans ce but. Notre préférence va aux cols frontaliers, car l'idée d'aller passer la nuit en Italie en traversant les montagnes nous plait particulièrement... Que ce soit par Tende, par l'Ubaye ou le Queyras nous n'avons jamais été déçus par ces escapades italiennes.
Descente du Col Manzol
La route est plus ou moins goudronnée jusqu'à la Roche Ecroulée (alt 1787m) et nous croisons des troupeaux de magnifiques vaches rousses et plus loin, de moutons. Nous roulons jusqu'à 2000 m d'altitude et savons qu'au-delà, il faudra pousser les vélos. Le premier col sur notre parcours est frontalier, le col Seillière à 2834m. La montée est régulière sur un sentier bien marqué et nous l'atteignons vers midi. D'ici on a une vue fantastique sur l'immensité de la chaine des Alpes. Aujourd'hui on voit même le Mont Blanc. Dans la descente nous apercevons le Refuge Granero avec ses nombreux bâtiments déjà barricadés pour l'hiver. Le lac Lungo juste à côté offre des couleurs magnifiques, nous y croisons quelques randonneurs.
Entre le col Manzol et le col d'Armoine, je refais le plein d'eau ici : elle est très bonne !
Nous attaquons maintenant le col Manzol à 2667m qui se laisse facilement monter mais offre peu d'opportunité de pédaler. Sa descente est équipée de mains courantes. Sans réel danger à pied, avoir un vélo à la main se révèle encombrant ... Heureusement la descente est courte et après 200 mètres de dénivelé négatif, nous remontons à nouveau dans la lumière dorée du soir vers le plus beau col de la journée : Col d'Armoine à 2692m. Nous passons par un lac où je refais ma réserve en eau, et traversons des pâturages dans un vallon de toute beauté. Arrivés au col, la plaine du Pô s'étale devant nous. La ligne d'inversion de température est bien visible et tout ce qui est dessous est dans la brume. Il est 17h et nous pensons enfin à trouver un endroit pour dormir, si possible pas trop bas dans la vallée, car tout ce qui sera descendu aujourd'hui devra être remonté demain. 

Au fond, on voit le Mont-Blanc
Sur notre carte, on voit qu'un ancien bâtiment militaire est desservi par une large piste. Mais ce n'est pas la réalité et cette piste n'est pas du tout praticable. Dans la longue descente, au détour d'un virage, nous découvrons les bâtiments du Refuge de Pian del Ré. On croise les doigts, Mark entre le premier ... banco : il est possible d'y dormir et de manger ! Une chance car le Refuge ferme le lendemain pour l'hiver ! L'effort de la journée est terminé : 9h50 de route, dont la plupart avec le vélo poussé ou tiré à la main, seulement 28 kilomètres et 1700 mètre de D+. Ainsi lestés, nous progressons moins vite qu'un randonneur moyen !
Le Refuge du Plan del Ré, avec le Mont Viso en arrière plan
Pendant le dîner composé d'un repas traditionnel succulent (et trop riche !!), la patronne francophone nous apprends que le tunnel de Traversette, aussi appelé Buco di Viso est fermé pour travaux et rouvrira le 13 octobre prochain. Ce tunnel est le plus ancien de toutes les Alpes : percé au XVème siècle pour  l'exportation du sel en provenance de l'étang de Berre, il fut abandonné au XVIIème siècle puis rouvert et finalement en rénovation aujourd'hui sur crédits européens. Quelle malchance pour nous : nous pensions l'emprunter au retour... Ignorant alors que le tunnel et le col de Traversette sont deux lieux différents, nous sommes assez inquiets (surtout moi !) de savoir si nous pourrons passer demain pour rentrer directement ... ou si nous serons obligés de faire un très très long détour. Notre carte IGN est assez confuse, il y a trop d'informations sur trop peu d'espace. Je passe une mauvaise nuit agitée, me voyant mal escalader les Aiguilles de Travesette avec le vélo sur mon dos... Mais le jour levé, mes pensées pessimistes se dissipent et les randonneurs italiens nous donnent toutes les informations nécessaires sur l'itinéraire qui peut se poursuivre en passant le col au dessus du tunnel, tout en se montrant sceptiques sur la possibilité de franchir ce col à VTT !
Tellement romantiques, ces Italiens !
Nous quittons le refuge avant 9h avec un chaud soleil dans le dos et partons pour 1000 m de D+ parmi des dizaines de randonneurs qui nous encouragent et parfois nous questionnent sur notre équipage incongru dans cet environnement. La montée est magnifique, elle est ponctuée par un grand bâtiment militaire où chacun fait une pause, puis par l'entrée du fameux tunnel où, bien que samedi, les maçons s'activent ! Au-dessus du tunnel, l'escarpement est prononcé, il faut y mettre les mains et on s'entraide en hissant nos ânes morts... Au col à 2947 m, il ne fait même pas froid, je suis toujours en maillot à manches courtes ! Nous faisons une pause dans la descente, le temps d'admirer l'autre entrée du tunnel et son nouveau très beau porche en pierres taillées. La descente se fait sur d'énormes blocs, la roche est multicolore ici et le paysage 100 % minéral. 

On voit bien la couche d'inversion : il fait plus chaud au dessus qu'en dessous !
Dans la montée du Col de Traversette
Col de Traversette, 2947m
Même si Mark et moi savons qu'il y a encore un col qui peut être attrapé en aller-retour, nous ne nous décidons à en parler ensemble qu'une fois le dernier obstacle franchi : un objectif à la fois ! Après quelques hésitations sur le repérage, nous trouvons finalement le bon sentier et nous préparons à escalader notre 5ème col : le Col Seillierano à 2924 m. Il est là, au bout du sentier vertical et 300 mètres à escalader ... on ne peut pas le laisser passer sans essayer... à deux avec un seul vélo, le mien qui est plus léger. Nous voilà partis pour une heure d'effort, l'un pousse et maintient, l'autre monte devant et tire ... et ainsi de suite. Comme dit Mark, dans ce genre d'effort ridicule, mieux vaut arrêter de réfléchir et juste penser à des trucs marrants. Nous atteignons enfin le col et sa vue dégagée jusqu'au Mont Blanc ! Dans la descente, notre technique s'améliore, le vélo virevolte dans la descente, et nous aussi. 
La montée du col de Seillierano

Col de Seillierano 2924 m
Maintenant il nous reste 1300 m de dénivelé négatif à faire pour atteindre la voiture : Mark monte sur son vélo dès que possible, moi je préfère courir à côté plutôt que de tenter le free ride et me casser la binette.

Après une bifurcation, nous retrouvons le sentier d'approche d'hier, puis la large piste et enfin la route : 20 km parcourus en 7h00 et 1000 D+. De retour à la voiture, nous sommes rompus : 15 heures de progression en 2 jours et 2700 m de D+, la plupart du temps vélo à la main...

Chaque hiver, j'envoie au Club des Cent Cols ma déclaration (sur l'honneur) des nouveau cols franchis : ma collection a commencé en 1995 et j'en ai parcouru 660, dont environ 120 à plus de 2000 m, et une poignée à plus de 3000m (ces derniers sont rares !). Mark et moi, ça nous motive : on trouve que c'est plus marrant que de juste partir en randonnée avec un sac à dos, comme tout le monde...

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